Pénurie de dentistes : la colère monte !

La démographie médicale du département est malheureusement préoccupante dans toutes les spécialités. Mais avec seulement 77 praticiens recensés, la pénurie de chirurgiens-dentistes est certainement la plus douloureuse à bien des égards. L’augmentation constante de soins dentaires non satisfaits provoque une vague d’indignation dans la population de l’Indre.

Adrien n’en décolère pas : « … et il ne prend pas de nouveaux clients, où vais-je me faire soigner les dents maintenant ? » Le Docteur Baron, dentiste à Saint-Maur vient de prendre sa retraite et son successeur, le Docteur Giard, ne prend pas les patients de son prédécesseur. Celui-ci vient de Châteauroux où il avait déjà sa patientèle. Il a racheté le cabinet saint-maurois pour les locaux et le matériel, mais pas pour la clientèle locale. « C’est un scandale ! », renchérit une autre habitante de la commune. « J’ai appelé une vingtaine de dentistes pour ma fille et aucun ne prend de nouveau client. On se croirait dans un pays du tiers-monde… » Effectivement, la situation est tellement critique dans l’Indre qu’il faut attendre jusqu’à 6 mois pour un rendez-vous de soin dentaire et de nombreux praticiens ne prennent plus de nouveaux patients.

Un état des lieux catastrophique
Les derniers chiffres publiés sur le site de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes sont éloquents. La région Centre-Val de Loire est la région métropolitaine la moins bien lotie, avec la région Normandie, en nombre de dentistes par habitant. Et au sein de la région, notre département de l’Indre tient la lanterne rouge avec seulement 77 dentistes pour 215 031 habitants, soit une moyenne de 35,81 dentistes pour 100 000 habitants. Sachant que la moyenne française est de 64 dentistes pour 100 000 habitants et la moyenne européenne de 74 dentistes, on constate à quel point notre territoire est sinistré. La pénurie de dentistes dans notre département se traduit par un déficit de soins inacceptable pour une large part de la population. Être soigné correctement quand on a mal aux dents devrait être une évidence. Nombre d’Indriens ne se résignent pas à être des sous-citoyens et ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas accès aux services de santé bucco-dentaires les plus élémentaires. Six mois pour avoir un rendez-vous, ce n’est pas digne de la 7ème puissance économique mondiale.

Les responsabilités politiques
Cette situation révoltante n’est pas le fruit du hasard mais celui d’une politique publique délibérée et odieusement cynique. Nous payons aujourd’hui la politique du numerus clausus lancée en 1979 par Simone Veil, la Ministre de la santé de l’époque. Malheureusement, elle a été suivie depuis lors par tous ses successeurs. Elle vise à réduire fortement le nombre d’étudiants- dentistes pour que mécanique- ment le nombre de soignants baisse et ainsi limite le nombre d’actes à rembourser. L’objectif étant de contenir le déficit de la Sécurité sociale. Depuis 40 ans, nos politiciens ont organisé sciemment la pénurie de dentistes dans l’objectif inconvenant de faire des économies. Les praticiens n’étant pas assez nombreux mais possédant la liberté de s’installer là où ils le désirent, il est logique que des départements peu attractifs comme le nôtre se retrouvent dans cette situation.

Les responsabilités corporatistes
Les dirigeants politiques ne sont pas les seuls responsables de ce naufrage sanitaire. L’Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) qui organise la corporation porte également sa part de culpabilité. Cet organisme de défense et de régulation de la profession de chirurgien-dentiste se préoccupe bien plus des intérêts financiers des dentistes que de la santé des patients. L’ONCD a toujours fait pression sur le gouvernement pour conserver la liberté d’installation et tarifaire des chirurgiens-dentistes même dans les zones faisant face à une pénurie, alors même que d’autres zones étaient surdotées. Jamais l’ONCD n’a plaidé la responsabilité collective au sein de ses membres concernant le temps de travail. Ainsi, même dans les zones sinistrées appelées Zones d’Intervention Prioritaire (ZIP), certains dentistes se payent le luxe de ne travailler que 3 jours par semaine ou de travailler à deux sur une même patientèle. De même, plutôt que de demander au gouvernement de créer de nouvelles facultés pour former les chirurgiens- dentistes qui manquent au pays, l’ONCD milite pour la création d’un diplôme d’assistant dentaire de niveau 2. Ces nouveaux diplômés pourraient ainsi faire « les petits soins genre détartrages ou prendre les radios », ce qui aurait l’avantage de laisser plus de temps aux dentistes pour réaliser des soins les plus rémunérateurs…

Des incitations financières inefficaces
Il existe des aides financières pour inciter les chirurgiens-dentistes à s’installer ou à rester dans les zones sinistrées. Ainsi, l’Agence Régionale de Santé (ARS) propose une aide forfaitaire de 25 000 € à l’installation d’un dentiste. Elle peut même être majorée à 30 000 € dans les zones dites « très sous-dotées » comme il en existe dans notre département. Le Conseil départemental de l’Indre propose de son côté une aide supplémentaire de 15 000 € à l’installation pour les chirurgiens- dentistes en tant que praticiens libéraux. Las, ces incitations financières sont des pansements sur une jambe de bois. Avec des revenus annuels compris entre 100 000 et 200 000 €, les chirurgiens-dentistes n’ont pas de problème d’argent pour s’installer. Ils obtiennent un prêt de la banque sans souci avec ce niveau de revenus. Ces « aides » ressemblent beaucoup à de charmants petits cadeaux pour une caste déjà privilégiée. Au final, ces aides sont inopérantes car inadaptées à la situation. Les jeunes dentistes ne déposent pas leurs valises dans l’Indre car ils préfèrent les grandes villes ou les bords de mer à haut standing culturel et social. Le désert rural s’avère être un repoussoir pour ces happy few individualistes.

Des solutions existent
La colère populaire est d’autant plus forte qu’il existe des solutions à ce problème. Il n’y a pas de fatalité. La pénurie de dentistes est directement liée au nombre trop limité de places d’étudiants en fac d’odontologie. La France ne forme pas suffisamment de dentistes. Plus de 40% des nouveaux dentistes ont même dû passer leur diplôme à l’étranger pour pouvoir exercer en France. C’est une honte. Le bon sens voudrait que l’on multiplie par quatre le nombre de places en faculté de chirurgie dentaire pour atteindre les 4 000 nouveaux dentistes chaque année. Nous pourrions ainsi pouvoir progressivement renverser la tendance et acquérir enfin l’autonomie suffisante pour nos besoins en soins bucco-dentaires. Nous ne serions plus tributaires de professionnels étrangers comme c’est malheureusement le cas actuellement. Parallèlement, il serait bon de revenir, au moins partiellement, sur la liberté absolue d’installation des chirurgiens-dentistes. Une bonne solution serait d’interdire aux praticiens de s’installer dans un territoire où il y a déjà suffisamment de confrères. L’intérêt collectif des citoyens doit pouvoir primer sur les intérêts individuels quels qu’ils soient.

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