Ernest-Charles Appert : castelroussin et grand photographe de la classe dirigeante
Le castelroussin Ernest-Charles Appert est peu connu dans sa ville natale. Il n’y possède même pas une rue. Pourtant, ce fils de l’Indre a fait une magnifique carrière à Paris comme photo- graphe portraitiste de la classe dirigeante de la deuxième moitié du XIXème siècle avec une renommée semblable à celle d’un Nadar. Il fut également le photographe attitré du Ministère de la justice et un pionnier du photomontage d’actualité. Son travail durant les événements tragiques de la Commune de Paris lui donnera une renommée nationale.
Un castelroussin d’origine très modeste
Ernest-Charles Appert est né le 10 septembre 1831 à Châteauroux d’une mère célibataire et d’un père inconnu. Anne Appert travaille comme journalière puis comme domestique. Comme beaucoup de jeunes gens de condition modeste, Ernest Appert monte à Paris pour trouver du travail et « tenter sa chance ». Il est accompagné de son frère Eugène-Léon. En 1854, les deux frères commencent leur apprentissage de photographes au sein des ateliers Émile Defonds et Alphonse Bousseton, au 21 rue Louis le Grand dans le 2ème arrondissement de Paris. Il semble que les frères Appert aient fait fonctionner la solidarité berrichonne : Defonds et Bousseton sont également natifs de Châteauroux. Rapidement, Eugène abandonne le métier de photographe. En 1862, Ernest Appert devient l’associé d’Alphonse Bousseton, en remplacement d’Émile Defonds. Mais en 1868, il décide de le quitter pour fonder son propre atelier au 24 de la rue Taitbout dans le 9ème arrondissement.
Un métier en pleine expansion
Depuis 1854, avec les progrès techniques et la possibilité de faire des photographies en série à partir d’un négatif, le nombre d’artisans photographes explose. Leur produit phare est la « photo-carte de visite ». Il s’en vend des centaines de milliers chaque année. Vendues à la douzaine, ces photos-cartes en papier albuminé représentent un vrai phénomène social en cette période de révolution industrielle. Rien qu’à Paris, on dénombre plus de 500 photographes.
Appert impose son style
Alors que le portrait d’atelier était extrêmement codifié et agrémenté depuis le traité de référence l’Art de la Photographie du célèbre Eugène Disdéri, Ernest Appert s’affranchit des décors et autres accessoires utilisés auparavant pour aller à l’essentiel. Le sujet pose sur un fond uni, assis sur une simple chaise et le portrait est cadré à mi-corps. Une révolution à l’époque. Il pratique ce style de portrait épuré particulièrement avec les hommes politiques et le tout venant. Pour les ecclésiastiques et les militaires, Appert conserve le décorum et les poses fidèles à la tradition des ateliers du Second Empire.
Appert photographe des élites
Bonapartiste sous Napoléon III, républicain sous la IIIème République, Ernest Appert ne fait pas de politique. C’est un artisan-commerçant opportuniste qui a pu traverser les aléas de son époque en préservant ses liens privilégiés avec la classe dirigeante. Il a pu ainsi tirer le portrait à des personnalités aussi différentes que l’Impératrice Eugénie, Léon Gambetta, Adolphe Thiers ou le pape Léon XIII. Au dos de ses photos-cartes et suivant les époques, il se targue d’être le photographe de « la maison de l’Empereur », de « la Reine d’Espagne », du « Duc d’Aumale », du « Président de la République », de « sa Sainteté Léon XIII », du « Comte de Paris » mais aussi de « la Magistrature », de « l’Armée », du « Sénat », de « la Chambre des Députés » ou encore du « Corps législatif ».
Le pionnier du photomontage d’actualité
Grâce à sa grande collection de portraits réalisés en atelier, il réalise des photomontages pour immortaliser des faits d’actualité. Ainsi le 9 juin 1869, il édite son premier photomontage intitulé : « Le corps législatif 1869 » où il réunit fictivement les députés républicains de la Seine. La technique est originale : il paie des figurants pour prendre la pose, puis il colle les vraies têtes des participants de l’événement politique ou historique qu’il souhaite illustrer. Il est le premier à utiliser cette technique en France. Il réalise ainsi la « Majorité du Prince impérial » (1874) mais aussi le « Gouvernement provisoire de 1870 » ou encore le « Conseil des ministres » (1872). La série de photomontages qui fait sa grande popularité reste sans conteste « Les crimes de la Commune ». Composée de 7 photomontages différents, cette série connaît un très grand succès commercial. Les photomontages sont vendus en trois formats différents, de la grande planche à la carte de visite.
Le photographe des communards
Sa proximité avec le corps judiciaire lui permet de photographier les membres de la Commune quand ils sont détenus au camp de Satory ou à la prison des Chantiers avant d’être déportés en Nouvelle-Calédonie. Les familles et les sympathisants des communards s’arrachent alors ces photos-cartes de leurs « héros » qui sont vendues à des milliers d’exemplaires. Les visages des protagonistes de cette époque nous sont connus le plus souvent grâce au travail d’Ernest Appert, à l’instar du portrait de la fameuse vierge rouge de la Commune : Louise Michel. En 1885, cette dernière lui fait parvenir son dernier livre avec cet envoi : « À monsieur Appert, souvenir de 71 et en reconnaissance du grand plaisir qu’il a fait à ma chère mère avec les photographies de 72 ». Le culte des déportés de la Commune a été maintenu grâce au travail d’un castelroussin pas vraiment anarcho-communiste mais commercialement très avisé. Ernest-Charles Appert décède le 15 janvier 1890 à Paris.